Accueil Remonter

La réforme carolingienne                
_________________________________________________________________________________________________________

[En construction]

 

Sur la liturgie des Gaules

et la liturgie romaine

 Mémoire

Hubert Ordronneau

Mémoire présenté dans le cadre des travaux de l'Institut de Théologie orthodoxe Saint-Denis 

Introduction

D'emblée, et il faut l'affirmer sans hésiter, aucun rite, à quelque religion qu'il appartienne, ne saurait traverser les siècles et les espaces sans subir des modifications, bonnes et moins bonnes. En effet, si l'on admet qu'un rite est inséparable de l'histoire des peuples, comment concevoir un peuple immobile et stagnant dans sa propre histoire ? ce serait avouer que ce peuple n'a pas d'histoire ! Le rite gallican qui a caractérisé les premiers temps d'une grande partie de l'Église d'Occident n'a pas dérogé à cette loi de nature ; et c'est la preuve qu'un rite vit, qu'il a un sens et qu'il respire en même temps que tous les êtres vivants qui le construisent et s'en nourrissent. Cependant, ce rite gallican, dit aussi rite des Gaules, s'est vu à partir de Charlemagne, pour prendre une figure emblématique et qui fait date, supplanté par le rite romain. Du moins est­ce une formulation souvent rencontrée, et qui fait enrager certains, qui y voient l'insupportable symbole d'une romanisation à tout crin, et le déni d'un droit d'existence, respectueux des civilisations et des territoires.

Cette réforme carolingienne, qui fut réelle, a-t-elle été aussi dra­matique qu'on le dit, et le rite des Gaules, s'il a disparu longtemps dans son appellation, a-t-il perdu son ferment vivifiant ? Pour tâcher d'y répondre avec pertinence, nous regarderons - à grands traits car cette réflexion a fait l'objet de lourdes recherches qu'il est hors de saison de rapporter in extenso - les conditions dans lesquelles s'est opérée cette réforme, comment elle s'est mise en place, et ce qu'il en est vraiment sorti. Disons que c'est en raison de la restauration de ce rite des Gaules aujourd'hui, en Occident, dans notre Église orthodoxe de France, que cette question nous touche au premier plan. 

I° partie : terreau et terrain

Les sociétés orientale et occidentale dans lesquelles éclot le christianisme ne se ressemblent pas du tout : d'un côté un Orient extrêmement riche et imprégné d'une grande culture, grecque notamment, et de l'autre un Occident que, pour aller vite, nous dirons encore barbare : à celui-ci est donc destiné un enseignement aux peuples, dans une visée civilisatrice. Il est cohérent donc que les rites qui vont exprimer cette nouvelle religion soient différents dans leur expression, car les "sols", qu'ils soient culturels ou terrestres, produisent ce qui correspond à leurs richesses internes. Sans entrer dans le détail de ces rites, il est pourtant possible de dire que chaque sphère culturelle a son ou ses rites, obligatoirement orthodoxes, car la question ne se pose pas encore : rite d'Orient, rite d'Occident.

Or, dans le cadre d'une restauration liturgique, telle qu'elle a été entreprise par les frères Kovalevsky, et notamment celui qui allait devenir Monseigneur Jean de Saint-Denis, l'état des rites mérite d'être examiné scientifiquement. S'impose alors une quête de documents qui seront les points d'appui et justificatifs de cette restauration, pour une remise en lumière et une pratique d'un rite en correspondance avec la culture d'un peuple. Ce qui nous permet de dire ici, avec une certaine vigueur, qu'il n'y a pas de rivalité à poser entre les rites d'Orient et d'Occident, mais une remise en perspective et un rapprochement pour que les deux grandes fraternités orientale et occidentale s'enrichissent mutuellement, au lieu de se déchirer comme si l'un ou l'autre voulait s'ériger en unique héritier légitime d'un rite parfait du christianisme des premiers temps. Pur fantasme, né d'un problème mal posé, comme tant d'autres problèmes dans les rapports d'Orient / Occident.

Le premier problème qui s'est posé est le petit nombre de docu­ments qui permettent d'affirmer une substance liturgique gallicane forte. Mais, on ne devrait pas s'en étonner car on sait que toute tradition bien ancrée, aussi longtemps qu'elle ne rencontre pas d'obstacles à sa pérennité, se transmet oralement, et que, paradoxalement, c'est quand elle est menacée qu'alors on s'empresse d'écrire et de préciser tous les détails qu'on estime riches ou caractéristiques. Cependant des recherches ont établi, au XVIIIe siècle (le Père Lebrun) et à la fin du XIXe siècle (Mgr Duchesne) avec certitude la force de ce rite, sa vitalité durant des siècles et son usage vraisemblablement sans difficulté majeure jusqu'au VIIIe siècle.

Pendant ce temps la ville de Rome, devenue premier patriarcat d'honneur, à cause de la venue de saint Pierre, mais sans aucune supério­rité canonique, a élaboré, par sa propre tradition, son propre rite, et développé une certaine autorité. Mais les vicissitudes de l'Empire romain d'Occident ont réduit Rome, au Ve siècle, à une petite ville, sans influence politique véritable, caricature désolante et désolée de son propre passé, et même inférieure à d'autres grandes cités comme Milan. Il n'en demeure pas moins que c'est la ville du pape de Rome. Il faut voir, je crois, cet imbroglio politico-religieux qui se dessine pour saisir ce qui va se mettre en place au VIIIe siècle, quand vont se rencontrer deux oppor­tunités, politique et religieuse, qui vont unir leurs stratégies pour une véritable recomposition d'un grand empire chrétien d'Occident ; ressuscitant à la fois la grandeur de Rome, et son pouvoir en face de Byzance, en donnant naissance à un grand continent chrétien.

Comment en est-on arrivé là ? Quand les Francs arrivent en Occident, et s'implantent en vainqueurs faciles, ils rencontrent une socié­té qui commence à être civilisée et même cultivée, essentiellement par ce qu'a apporté l'Église - seule rescapée du naufrage romain de 476 et, par voie de conséquence, gallo-romain  . Pourtant ces vainqueurs, ô miracle, vont être séduits par la culture qu'ils rencontrent, et loin d'y être rebelles, vont y accéder. Rappelons que cette culture est celle de l'Église, laquelle est déjà fortement structurée, qui est présente par ses maisons épiscopales, et que son organisation et son bon fonctionnement reposent sur des conciles locaux qui organisent méthodiquement la vie de l'Occident. Il va sans dire que dans ces nouveaux conditionnements l'Orient, l'Occident, et la ville de Rome évoluent très différemment, chaque région emportée par le char de son propre génie ! 

Ile partie : l'aventure proprement dite 

Quand au VIIIe siècle, l'évêque de Rome cherche à créer une unité spirituelle et administrative réunissant en un seul corps Église et Occident (on peut penser à une sorte de crise identitaire politico religieuse), il se met logiquement en chasse d'un appui gouvernemental. La ville de Rome est alors entourée de peuples germaniques, marqués d'arianis­me, - cette inusable hérésie qui ressurgit telle une hydre, même dans la civilisation contemporaine -, et le pape se tourne vers ce royaume des Francs qui cherche lui aussi ses marques territoriales et unificatrices, et songe à structurer une sorte d'Europe, en balayant ces roitelets de micro-empires qui survivent par des rapines et des désordres systématiques. Ces Francs qui, dès Clovis, ont cédé à la civilisation des vaincus, se sont laissé imprégner par elle, rencontrent enfin l'opportunité attendue. (Disons, au passage, qu'on peut déjà y repérer les indices de notre type de culture qui se dessine par ce mode d'apprivoisement). La collaboration officielle entre le pape de Rome et une instance gouvernementale s'opère avec Pépin le Bref, père de Charlemagne, au VIIIe siècle : le pape demande aide et protection pour sauvegarder ses États[1], en échange de quoi Pépin reçoit le titre de Roi et Patrice de la ville de Rome. Véritable traité. Il faut encore un événement déclencheur pour que la question des rites, - dont on semble s'être fort éloigné, mais il n'en est rien, car ce rapide détour historique s'imposait -, soit prise en compte dans le projet d'unification politico-religieuse de l'Occident qui, il faut le dire clairement, crée aussi l'Europe, n'en déplaise à nos politiques d'aujourd'hui qui voudraient occulter cette dimension spirituelle de notre continent. Cet élément déclencheur, c'est le voyage du pape Étienne en Gaule : il est sidéré de l'écart entre le rite de Rome (la ville) et celui des Gaules car, et là est le point clé, il ne peut célébrer avec le clergé gallo-romain ! Écart qui contredit l'unité politique reposant sur l'unité des usages religieux et de langue. Ce dernier point est satisfait par le latin, pratiqué avec plus ou moins de bonheur, mais compris quand même en terre gallo-franque. Il faut donc s'atteler à l'unité des usages liturgiques qui est l'empêchement majeur de cette plus vaste unité. L'intérêt ici est donc de noter que c'est moins par despotisme primaire et arrogant que les rites vont être bouleversés que par commodité de communication à l'intérieur d'une sphère culturelle qui s'agrandit et veut se faire homogène. Certes, c'est une opération qui n'est jamais sans risque, car elle peut se dresser contre le respect des cultures, droit inaliénable des peuples à exprimer leur propre génie.

Pépin promet d'introduire le rite romain en Gaule et en Germanie, au détriment du rite gallican, et cette promesse est rappelée solennellement à son fils Charlemagne lors du sacre à Rome en 800. Il ne se dérobe pas et demande à Rome des savants qui répondent à ce vœu. On fera diligence en envoyant de Rome ouvrages, savants et chantres. Mais pratiquement, l'affaire n'est pas si simple. Pourquoi ?

D'abord parce qu'on ne touche pas à des textes (souvent appe­lés "cantus, de façon fort ambiguë pour nous), sans modifier le chant (qui lui se dit "modulatio", c'est à dire le chant véritable). Le rite des Gaules est alors beaucoup plus développé que celui de Rome et celui-ci ne saurait être proposé et admis tel quel sans être perçu par les peuples gallicans comme un insupportable appauvrissement. Se pose donc la question majeure : quelles insertions ? dans quoi ? On s'oriente vers une compénétration des deux rites, où chacun des deux peut avoir à gagner quelque chose, car le rite de Rome (la ville) s'est appauvri, dès Grégoire le Grand, par une codification trop rigide ; (belle leçon au passage, qui montre que toutes les tendances puritanistes ou rigoristes sclérosent l'esprit parce qu'on restreint le champ d'intervention de l'Esprit).

Trois grandes figures, qui s'imposent dans l'élaboration de cette réforme, car elle doit être confiée à des savants liturges (comme il a été fait dans notre Église en ce XXe siècle), vont retenir notre attention Alcuin, Amalaire, Hélisachar.

Dès 780, pour servir ce grand dessein de restauration, Charlemagne avait appelé en France Alcuin, savant religieux anglo-saxon. Celui-ci prend pour appui le Sacramentaire Grégorien , aux prières de saint Grégoire (VIIe siècle), il ajoutera quelques textes qu'il marquera d'obèles (signes de repérage) montrant que ces passages ne font pas partie de l'original, ceux de saint Grégoire étant marqués de la lettre G. Ce sont ces livres qui désormais feront autorité pour toute l'Église de Rome jusqu'au concile de Trente. Il semble que la part d'Alcuin soit la plus importante.

Mais Charlemagne, comprenant que ce travail savant ne serait connu et perpétué que s'il était soutenu par une politique volontariste, oblige les évêques à créer des écoles. Une tradition strictement orale est en train de prendre fin : désormais, on consigne et on enseigne ce qui doit être fait et transmis ; étape décisive dans notre civilisation d'ailleurs. Au concile de Valence en 855, dans ce sillage carolingien, les évêques décident la fondation des Écoles où seront enseignées les Lettres humaines et divines, ainsi que les chants romains. (On commence donc à bien voir comment cette organisation systématique va répandre le rite de l'Église de Rome). Ajoutons aussi, car c'est très important, même si nous n'entrons pas dans tous les détails de cette réforme, ajoutons que c'est à Alcuin que nous devons les premiers neumes qui déterminent les inflexions du chant (mais pas la hauteur des notes). Pour retenir les mélodies on a créé les "tons ecclésiastiques", où sont classés les formules. A lui aussi nous devons le système des huit tons grégoriens qui fondent le principe pédagogique de cet apprentissage, fort long au demeurant. Cet apprentissage est complexe et l'on parle de neuf ans pour former un bon chantre à l'époque de Charlemagne.

Alcuin, avec le système des tons, suit l'usage byzantin et se démarque de la théorie musicale des Grecs.

On assiste ici à un véritable rendez-vous de l'exigence d'un prince et de la culture d'un savant plein de discernement.

La seconde étape forte est marquée par la personnalité de Amalaire, archevêque de Trêves en 811. Louis le Débonnaire succède en 814, et jusqu'en 840, à son père et voit que dans les environs de Rome notamment, les textes de Charlemagne prétendument seuls en vigueur étaient contestés ou refusés. Il s'en suit une grande confusion, à laquelle le prince veut trouver remède. Amalaire est dépêché à Rome en 831, où il constate

•      que les usages de Metz (cette école de savants liturges mis en place par Charlemagne) ne sont pas en usage à Rome,

•      qu'ils ne correspondent pas non plus aux ouvrages envoyés par le pape pour combattre le rite des Gaules.

L'antiphonaire de saint Grégoire est introuvable à Rome, et Amalaire se rend au monastère de Corbie où il ne trouvera que des manuscrits partiels et encore différents. Il opère alors à Metz, où il est revenu, une sorte de refonte de tous les livres liturgiques. Il y réalise un travail méticuleux et considérable, classant tous les textes par un repérage de lettres

M désignera tout ce qui relève de Metz ;

R le nouvel antiphonaire romain ;

1 C (sigle de "indulgentia et charitas" !) tout ce qui est créé par Amalaire lui-même ; à savoir, la vérification des fêtes réellement célébrées, les chants réellement chantés, et leur forme. Au vu de ce scrupuleux travail, les historiens et liturges contemporains estiment qu'il faudra mille ans avant de retrouver une lecture aussi pertinente et objective des rites chrétiens ! Grâce à lui, rien ne fut perdu ni des antiennes, ni des répons, ni des offices. Nous avons bien là un second exemple du passage d'une société orale à une société écrite.

Amalaire fut secondé par un autre savant, épris des beautés et des valeurs de la liturgie : Hélisachar. Il est prêtre, et s'attachera tout particulièrement à la "bizarrerie" de l'usage gallican du répons qui se contentait, comme par un simple effet d'écho, de reprendre la fin seulement du texte du préchantre ; ce qui n'est pas sans beauté sonore, à mon sens, et on peut émettre l'hypothèse que c'est une des raisons de cet usage, car justement c'est un usage poétique qu'on trouve chez les Grecs et qui sera en vigueur dans la poésie médiévale française. Aussi le jugement d'une déformation mérite d'être réexaminé. Cependant cet usage rend le texte plus obscur dans la plénitude de son sens et de son efficacité. Alors, au titre de l'efficacité, nous admettons bien volontiers le nouveau code proposé. 

IIIe partie : le résultat 

Qu'advint-il de la réception de tous ces travaux qui boulever­saient de façon considérable les usages en vigueur en chaque lieu de la chrétienté occidentale ? On sait que la ville de Lyon fut d'abord réfractaire. Il est vrai que le rite romain y avait été déjà introduit, ainsi que le chant grégorien ; on y souhaitait donc que les choses restassent en l'état. Les critiques assez virulentes émises par Lyon ne réussirent pas à concurrencer ce que l'école de Metz, en raison de sa grande réputation de chant, proposait dans son antiphonaire ; celui-ci donc se répandit largement dans toute la chrétienté, une fois que la réforme fut parvenue à Rome et adoptée.
Alors, en fait, que s'est-il passé ? et que voit-on dans le rite dit romain, non plus de la ville de Rome, mais de toute l'Église occidentale ? D'abord nous comprenons qu'un rite est élaboré à partir de la pensée des peuples et que s'y exprime le génie des ethnies, baptisé par leur confession de foi et visité par l'Esprit. Ensuite nous voyons que le voisinage des populations, ainsi que les voyages, entraînent des échanges et contaminations entre rites qui rendent caduque l'appellation de "rite pur" ; nous avons déjà dit que c'est un fantasme d'âge d'or, dont toutes les civilisations sont porteuses, mais qui ne doivent pas se laisser stérili­ser par ledit fantasme.

Nous saisissons aussi que le rite romain a marqué le rite des Gaules et que celui des Gaules a enrichi le rite romain au moment où celui-ci s'affadissait.

Ainsi l'introduction du chant romain dans l'empire franc a entraîné :

a) un changement de textes d'une partie essentielle du responsorial romain ;

b) une adjonction de nouvelles mélodies et fêtes franques spécifiques, au point qu'on peut dire que le chant romain a été gallicanisé ; que notre rite n'a pas subi d'altération, mais est devenu plus accessible aux peuples occidentaux ; que ce rafraîchissement, enfin, était nécessaire pour que le chant romain se répande dans l'empire franc et en Espagne. C'est globalement ce que conclut André Pons.

Hélisachar n'hésite pas à affirmer que le chant grégorien est "presque entièrement né en Gaule". Les travaux de Iégor Reznikoff sur "l'antique chant chrétien occidental", publiés en 1988 dans le Grand Atlas des religions (Encyclopédie Universalis) en apportent la claire démonstration. Nous devons donc à Charlemagne une sorte de loi exogamique relative aux rites ! 

Conclusion 

Ainsi, au terme de ce balayage un peu rapide de l'influence carolingienne sur l'évolution de ces deux rites, nous sommes obligés de conclure à la compénétration des rites. Le rite romain, par les lacunes qu'il laissait voir aux peuples à qui on l'imposait ou aux savants qui l'examinaient, a été complété par des usages rituels propres ; ce fut le cas dans les Gaules, mais aussi de l'Espagne, et à Milan où dominait le rite ambrosien. Cette richesse a sans doute été garante de la bonne santé de ces rites jusqu'au concile de Trente, dans toute l'Europe. On peut s'interroger pourtant sur les vraies raisons qui ont poussé Charlemagne à se battre ainsi pour l'unification du rite, bien que nous ayons effleuré la question, mais en la cantonnant dans la sphère du politique.

• Notons d'abord une conception byzantine du rôle de l'empe­reur, et que, rapporte très clairement le liturgiste anglais contemporain Bishop : l’Eglise et le monde sont dirigés par les "deux bras de Dieu", l'épiscopat est le bras spirituel, l'empereur est le bras séculier. Ce concept du partage des responsabilités sur terre induit bien évidemment une conception religieuse du monde, et ici chrétienne ; elle restera vraie en Russie par exemple jusqu'à Pierre le Grand, tandis qu'en Occident, cette vision des pouvoirs sera tuée par Grégoire VII qui décrétera que la puissance des princes lui est soumise. Ce sera l'arrêt de mort d'une sorte d'ordonnance du monde européen. On ne dira jamais assez à quel point cette intrusion a choqué les esprits des savants tout au long de l'histoire de l'Europe, et a miné la vie spirituelle de nations entières ; la Gaule, dans le sens de France, est un exemple vivant de cette altération d'une conception de l'univers. Mais nous quittons notre sujet.

• C'est aussi un tempérament de chef et de dominateur que ce Charlemagne, et son désir viscéral de lutter contre l'anarchie, contre "les païens qui entourent les Gaules et la Germanie" et toutes sortes de désordre, incompatible avec la belle ordonnance d'un royaume paisible, l'amène à se conduire en responsable chrétien d'une "Europe" à construire, d'un continent à sanctifier. De ce fait, il se montre extrêmement atten­tif à tout ce qui peut créer unité et cohésion, prenant en charge autant les domaines profanes que religieux quand ceux-ci ont des interférences visibles avec l'unité envisagée. C'est pour cette raison que "la base poli­tique carolingienne était une étroite union avec Rome" conclut Bishop. Mais là aussi, il y a toujours des éléments déclencheurs. Nous avons cité la venue du pape Etienne en Gaule et son impossibilité de célébrer avec les prêtres gallicans ; réciproquement on rapporte que Charlemagne entendit un jour des moines grecs qui accompagnaient une ambassade à la cour de l'empereur, chanter en grec lors de l'octave de l'Epiphanie. L'empereur, charmé, imposa que les mélodies latines fussent incontinent transformées en mélodies grecques. Or, si les Grecs chantent dans les Gaules lors de leur déplacement, c'est qu'ils le trouvent naturel ! mais d'un autre côté on peut penser que Charlemagne voit, célébrée à l'orientale, une fête, l'Epiphanie, qui en Occident commence à paraître secondaire. Il comprend alors que l'Occident a quelque chose à apprendre ou à retrouver, que ni le rite romain, ni le rite des Gaules n'offre ; une réforme s'imposait alors, que l'empereur prend à bras-le-corps. Il y parviendra grâce à ces trois savants dont nous avons évoqué rapidement les travaux. Des édits (capitulaires) s'emploieront à imposer ce "pur rite romain", qui ne l'était pas.

__________

[1]. Les États de l'Église, plus souvent appelés États pontificaux, sont constitués de cette partie de l'Italie centrale qui, de 756 à 1870, se trouva sous la domination des Papes ; États dont certains furent concédés par Didier, roi des Lombards, sous la pression de Pépin le Bref. En 1870, ils ont été rattachés au royaume d'Italie ; enfin l'actuel État du Vatican est né des accords de Latran de 1929. (Lire Le schisme de 1054 entre l'Orient et l'Occident par G. H. BORNAND [p. 18 à 20 sur l'origine de ces États]. Éd. Cahiers Saint Irénée 1963)

 

Envoyez un courrier électronique à orthodoxie@wanadoo.fr pour toute question ou remarque concernant ce site Web.
Copyright © 2006 - INSTITUT DE THEOLOGIE PARIS SAINT-DENYS
Dernière modification : 18 juin 2007